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Introduction à la dépigmentation volontaire

Dr Antoine Petit, Hôpital Saint-Louis, Paris (2020)


La dépigmentation volontaire (DV), qui consiste à éclaircir la couleur normale de sa peau, est extrêmement répandue chez les personnes de teint foncé sur les cinq continents. La DV prédomine chez les femmes mais concerne aussi des hommes. Les produits utilisés pour éclaircir la peau, lorsqu’ils sont efficaces, entrainent toujours à plus ou moins brève échéance des complications cutanées et générales sévères. Pour cela, la DV est regardée comme un véritable problème de santé publique dans de nombreux pays.

Les déterminants socio-historiques de la DV sont multiples mais peuvent être schématiquement répartis en deux catégories. D’une part, elle s’enracine dans des traditions cosmétiques, la clarté du teint apparaissant liée au genre féminin depuis l’Antiquité méditerranéenne et dans d’autres civilisations anciennes. D’autre part, elle s’inscrit dans des contextes de hiérarchisation des individus et de leur prestige social selon leur pigmentation cutanée, et ce quel que soit leur genre. Cette hiérarchisation est observable dans des sociétés qui ont valorisé des classes supérieures par rapport aux paysans dont le teint est hâlé par le soleil. Elle a surtout connu son apogée avec les théories raciales développées entre le XVIIIème et le XXème siècle en Occident. Ces théories ont servi l’esclavage et le colonialisme ; elles ont laissé des traces profondes dans les structures sociales mais aussi dans les esprits, qui ont pu intérioriser la hiérarchie des couleurs. Ainsi un teint clair peut-il apporter des avantages tangibles dans la vie quotidienne dans certaines régions du monde (recherche de conjoint, emploi, emprunt financier, comportement de la police…) ; mais il apporte aussi une revalorisation narcissique qui s’exprime souvent sous la forme d’un jugement sur la beauté, parfois sur la propreté ou la pureté de la peau. 

Dans la seconde moitié du XXème siècle, la mise au point et la diffusion à large échelle de procédés très efficaces à base de dermocorticoïdes et dérivés de l’hydroquinone ont permis l’extension des pratiques de dépigmentation, faisant apparaitre des problématiques sanitaires communes aux différentes pratiques traditionnelles, et engendrant une certaine confusion entre leurs motifs. Plus récemment, on assiste maintenant à une banalisation de la DV, parfois présentée comme un simple caprice de mode à l’instar d’autres pratiques corporelles en vogue comme le bronzage ou la chirurgie plastique. Toutes ces pratiques peuvent se présenter comme de véritables addictions comportementales.    

Référence

Petit A. Skin lightening and its motives: a historical overview. Ann Dermatol Venereol 2019;146:399-409.

Autres sources de lecture

https://www.leparisien.fr/yvelines-78/la-depigmentation-une-pratique-aussi-repandue-que-taboue-16-01-2018-7503738.php

https://www.jeuneafrique.com/662823/societe/depigmentation-volontaire-un-phenomene-de-societe/

Glèlè-Ahanhanzo Y, Kpozehouen A, Maronko B, Azandjèmè C, Mongbo V, Sossa-Jérôme C. “Avoir la peau claire ……et pourquoi pas? ”: dépigmentation volontaire chez les femmes dans une région du sud-ouest du Bénin. Pan Afr Med J. 2019 May 31;33:72.